L'abbé
Suger, un homme d'exception
11 juin 1144
Naissance
de l'art gothique à Saint-Denis
Le choeur de la basilique de Saint-Denis
est solennellement consacré le dimanche 11 juin 1144.
L'abbé Suger invite à la cérémonie le roi de France, Louis VII le
Jeune, et sa femme, la duchesse Aliénor
d'Aquitaine, ainsi que tous les grands personnages du royaume, y
compris les évêques et les archevêques.
Ces derniers, émerveillés par la lumière des vitraux et l'élancement
de la structure, regagnent leur diocèse avec le désir de
reconstruire leur propre cathédrale dans le style particulier de
Saint-Denis. C'est le début de l'art gothique.

Suger,
homme d'exception
Fils d'un serf, Suger s'est hissé par ses seuls talents jusqu'au
sommet de l'Eglise et de l'Etat.
Conseiller des rois Louis VI et Louis VII, Suger mène une oeuvre législative
importante. Il assure la régence quand Louis VII et Aliénor partent
à la Croisade. Il consolide le royaume capétien en lointain
devancier de Richelieu.
Suger devient abbé de Saint-Denis, au nord de Paris. Cette abbaye,
dont les plus anciennes parties remontent aux rois mérovingiens de la
lignée de Clovis, a été très tôt un lieu de pélerinage.
Dès l'époque de Dagobert, des rois et des princes s'y font inhumer.
Pépin le Bref et ses deux fils, Carloman et Charlemagne, y ont été
successivement sacrés
roi des Francs par le pape.
Suger fait d'abord reconstruire la façade et la crypte de l'église
abbatiale dans le style roman de l'époque, non sans introduire sur la
façade une superbe rosace, la première du genre.
C'est seulement pour le choeur que Suger va avoir l'audace d'adopter
le nouveau style que l'on appellera plus tard «art gothique».
Entrepreneur hors pair, Suger a le sentiment d'oeuvrer pour la gloire
de l'Eglise et du royaume en reconstruisant Saint-Denis... Ses
conceptions sont à l'opposé de son contemporain et rival, l'austère
Bernard
de Clairvaux, qui plaide pour le dépouillement des lieux de culte.
Un art français
Après l'an mille, le renouveau
de l'Eglise d'Occident s'était illustré à travers l'art roman
(ou romain, c'est-à-dire d'inspiration latine), avec des voûtes
en berceau soutenues par de solides parois en pierre.
En 1122, à Sens, à l'occasion de la construction de la cathédrale
Saint-Etienne, un nouveau style architectural apparaît
subrepticement, plus léger, plus élancé, plus lumineux.
L'abbé Suger est séduit et décide de s'en inspirer pour sa chère
basilique.
Avec la consécration du choeur de la basilique de Saint-Denis, les
contemporains ont conscience d'assister à la naissance d'un nouveau
style architectural, proprement révolutionnaire par sa hardiesse et
son caractère résolument novateur.
Les contemporains l'appellent «art français» car il naît
dans le Bassin parisien, à Sens, Saint-Denis, Laon, Noyon, Paris.
On emploie aussi l'expression d'art «ogival», par référence
à l'ogive ou à l'arc brisé.
Dans la croisée d'ogive, le poids de la voûte se répartit selon
quatre arcs brisés dont les pieds reposent sur les colonnes des
coins.
Cette technique diminue l'effort sur les parois. Elle permet de
multiplier les ouvertures dans les murs et d'élever les voûtes à de
très grandes hauteurs.
L'art «ogival» est rationnel. Il se signale par la
valorisation de la structure (arc brisé, arc-boutant, croisées
d'ogives,...) et l'absence de décoration superflue.
Il est aussi symbolique. Le plan, la hauteur des nefs et la lumière
expriment le désir d'élévation vers Dieu. Sur le portail, les
colonnes-statues représentent l'élan des hommes vers le Christ en
majesté qui figure sur le tympan du portail.
Les vitraux historiés décrivent les scènes de l'Evangile et de
l'Ancien Testament à l'attention des chrétiens analphabètes. On
peut encore en apprécier la sauvage beauté dans le choeur de la
magnifique cathédrale de Bourges.
Contrairement à des idées reçues, cet art n'est pas anonyme. Les maîtres
d'ouvrage et les architectes se font représenter au coeur de leur
oeuvre. Ainsi, à Saint-Denis, Suger figure sur plusieurs vitraux et
il se cite dans diverses inscriptions.
Dans plusieurs cathédrales, le nom de l'architecte en chef se
retrouve au coeur du «labyrinthe». Ce dallage symbolise au
milieu de la nef le chemin qui mène à Jérusalem.