L’HOTEL DE VILLE

De Saint-Quentin

Extraits résumés de l’ouvrage de Bernard LEBRUN

 

1509 : Le Maître-maçon COLARD NOËL, architecte renommé, termine un édifice dont la façade est un chef d’œuvre. C’est l’Hôtel-de-Ville de SAINT-QUENTIN. Sa construction est un véritable traité pratique sur la Divine Proportion. Les rapports entre toutes les dimensions en dépendent, le rendant particulièrement Beau.

 

A  la fin du XVème siècle, un maître renommé, Colard-Noël, vient de sauver la collégiale et les travaux s’achèvent. L’Hôtel-de-Ville a besoin d’être agrandi, rénové, embelli.

 

Au nord de la grande place, à un jet de pierre de la collégiale, l’hôtel de ville dresse sa façade majestueuse et élégante. L’Hôtel-de-Ville est construit sur l’emplacement d’un édifice qui s’appelait en 1295 la Maison du Plaid et en 1332 la Maison de la Paix. Une partie du bâtiment ancien est sans doute incorporée dans le nouveau, et à l’arrière, subsistera jusqu’en 1803 la tour des Archives qui ne. Il faut donc comprendre que les bourgeois de l’époque, soucieux de leurs deniers, ont voulu partir de l’existant pour créer un édifice plus grand, possédant une façade digne de la richesse et de la renommée de la Ville, et soutenant la comparaison avec les Hôtels de Ville du Nord ou de Flandre.

La façade de l’Hôtel de Ville a résisté aux engins de destruction, mais elle n’a pas toujours résisté aux bons sentiments qui depuis le milieu du XIXème siècle ont entrepris de la consolider, de la restaurer, voire de lui rendre une élégance soit disant perdue et qui en réalité ont fait disparaître des pièces architecturales originales et symboliques pour les remplacer par des éléments sans valeur.

 

Construction et transformations

 

Construit en 1509, l’hôtel de ville ne subit apparemment aucune transformation durant tout le XVIème siècle. De 1643 à 1647, on construit au-dessus du pignon central une grosse tour qui recevra l’horloge et une grosse cloche sonnant les heures. Le campanile sera démonté en 1759 pour être remplacé par un autre avec carillon en 1762.

Nous disposons de plusieurs gravures, puis de photos qui peuvent être datées approximativement, en fonction des éléments qui y figurent, nous permettant d’observer les transformations successives subies par l’Hôtel-de-Ville :

 

w Entre 1762 et 1792.

- Le campanile qui surmonte la tour de l’horloge porte le premier carillon de 28 cloches

- La tour des Archives qui fut démolie en 1803,

- Les oculi des frontons présentent un hexagone étoilé au centre et des parallèles croisées dessinant un carré pointe en bas sur les frontons latéraux.

w Entre 1815 et 1839

- La balustrade montre pour la première fois un dessin qu’on retrouve actuellement sur l’arrière de l’édifice et sur le transept absidal sud de la basilique.

- Les oculi sont déposés. L’hexagone étoilé demeure au centre.

- Les crochets de bordure des pignons sont en cours de remplacement ou de destruction.

w Entre 1840 et 1851

- Le clocheton de la grosse tour de l’horloge a été remplacé par une lanterne pseudo-romane

- La plaque commémorative de 1557 que l’on voyait au-dessus de l’arcade a été enlevée. (Cette plaque a été remise en 1853 sur le mur du fond sous les arcades où on peut toujours la voir actuellement).

- Les oculi des frontons latéraux sont maintenant occupés par une ornementation quadrilobe.

- Les crochets de bordure des pignons sont complètement retirés.

w Entre 1854 et 1858

- Le campanile néogothique est en place et quatre cadrans (au lieu d’un en façade précédemment) indiquent l’heure.

- On voit le singe et le chien qui viennent d’être posés sur les rampants. Dans le chien on peut voir la fidélité des habitants de St-Quentin ; dans le singe, leur merveilleuse facilité à entreprendre.

- Les oculi latéraux sont ornés d’hexagones étoilés, reprenant le thème central.

- Deux blasons encadrent chaque oculus. Fronton ouest : Comtes de MOY et Famille De la FONS - Fronton central : Villes de St-QUENTIN et VERMAND - Fronton est : Familles d’Y et DORIGNY.

w Entre 1900 et 1914

- Les frontons ont été relevés par rapport à la balustrade

- De ce fait, les rampants où trônent singe et chien sont décollés du bandeau.

- Ce bandeau lui-même est maintenant d’une autre facture que le précédent.

- Les hexagones étoilés des oculi ont été remplacés par des carrés contrariés aux côtés concaves.

- Des écoinçons nouveaux surmontent les oculi : des motifs floraux et une tête d’enfant.

- Le nombre des crochets le long des pentes des frontons a augmenté de 7 à 10.

 

w Après la première guerre mondiale

- Les dégâts, auraient pu être plus importants quand on voit le reste de la place.

- Le campanile est vide : les cloches ont été emportées par les Allemands en 1917.

 

w Actuellement

- Le campanile n’a pas été refait "façon gothique". Il est terminé en 1923 et en 1924 on y installe un nouveau carillon de 37 cloches, chacune d’elle portant le nom d’une marraine bienfaitrice

L’Hôtel-de-Ville que nous voyons maintenant est donc tel qu’il est depuis le début du siècle, depuis la restauration Daujoie.

 

Un rébus comme acte de naissance

D'un mouton et de cinq chevaux

Toutes les testes prendrez M CCCCC

Et à icelles sans nvls travavx

La qveve d'un veav joindrez V

Et au bout adjovsterez

Tovs les quatre pieds d'vne chatte IIII

Rassemblé vovs apprendrez

L'an de ma façon et la datte M CCCCC V IIII

 

Nous sommes en 1509 et Charles de Bovelles compose son rébus, seul témoignage conservé datant vraisemblablement l'achèvement des travaux de construction de l'Hôtel de Ville de Saint-Quentin, commencé à la fin du XVème.

 

La façade de l’hôtel de ville est d’une beauté si harmonieuse qu’il est impossible de ne pas s’interroger sur l’origine de cette merveilleuse alchimie des formes et des nombres. Pour tenter d’en découvrir les sources, il est clair que nous ne pouvons aborder cette façade avec nos outils conceptuels modernes. Nous devons le faire avec ceux de l’époque. Nous sommes au début du XVIème siècle, la Renaissance n’a pas renié l’héritage gothique et l’humanisme apporte un souffle nouveau.

Les deux mots qui reviennent le plus souvent pour qualifier l’impression donnée par le monument, ce sont MAJESTE et ELEGANCE. Cette impression n’est évidemment pas l’effet du hasard. Elle est due à la volonté de l’architecte et à l’harmonieuse organisation des formes ou des figures. Une organisation recherchée, très complexe même, fortement marquée par l’irrationnel, et où les lignes horizontales et les lignes verticales se conjuguent pour produire le chef d’œuvre que nous admirons maintenant, majestueux et élégant.

Majestueux, parce que l’Hôtel de Ville est plus large que haut. La façade est une composition complexe de rectangles différents appartenant tous à la famille des rectangles d’or.

Les piliers de contrefort qui dépassent de peu la moitié de la hauteur de l’édifice accentuent cette impression d’assise au sol majestueuse et de solidité.

Les frontons eux-mêmes participent à cette impression de majesté et d’élégance tout simplement parce que posés sur la balustrade ils forment une couronne qui domine la façade.

L’impression de légèreté est accentuée par le fait que l’architecte a très habilement joué avec la matière et le vide ou le jour. En effet, toutes les grandes masses géométriques, les rectangles de la base comme les triangles des sommets sont percés d’arcades, de fenêtres, d’oculi qui ajourent la matière et lui ôtent de la lourdeur.

Elégant : Son élégance lui est donnée par les lignes verticales et les obliques. La géométrie devient aussi moins présente et moins pesante. Le regard accroche des départs de lignes verticales mais il ne peut les suivre. Les élancements des piliers se transforment en arcs qui retombent sur un pilier voisin ou se perdent dans les flammèches des pinacles qui ornent le mur de façade. Les trumeaux qui séparent les fenêtres, à une échelle moins grande, font de même. Les pentes des pignons sont arrêtées net : il n’existe aucun repère où accrocher ces obliques qui descendent et se perdent définitivement.

Il semble que l’élégance soit fille de la fantaisie. Il n’en est rien. La réalisation est au contraire très fine et comme impalpable.

Les frontons donnent à l’édifice un supplément de majesté dû à l’effet "couronne" mais en même temps ils lui donnent une élégance certaine.

Les piliers appartiennent à la TERRE. Ils en jaillissent pour s’épanouir en arcades et supporter l’édifice ou au contraire, venant de la voûte, ils tombent comme stalactites pour enraciner l’édifice au sol.

Toute l’élégance de la façade tient dans cette suspension entre ciel et terre et cet appui au sol qui semble ne pas peser. Ce sont les piliers qui permettent d’ajourer aux deux tiers ce premier pan de pierre en suspendant au-dessus des têtes une dentelle aérienne et en réussissant un équilibre parfait, au moyen de l’asymétrie, entre pair et impair : 4 petites arcades et 3 grandes partageant également l’espace.

Il ne fait aucun doute que le maître d’œuvre, pour atteindre ici le BEAU, a joué du thème de la Divine Proportion. Il ne fait aucun doute non plus, pour avoir réalisé un tel chef d’œuvre, que c’était un grand maître.

De 1477 à 1509, deux grands chantiers ont animé la vie Saint-Quentinoise : Les travaux du petit transept de la collégiale et la construction de l’Hôtel de Ville. Puisque ces deux importants chantiers ouverts dans la ville durant trois décennies se terminent l’un après l’autre, on peut supposer que des relations existent dans l’architecture de ces deux édifices. Cela saute aux yeux de n’importe quel observateur : les motifs d’ornementation de l’extérieur du petit transept ressemblent à ceux de l’Hôtel de Ville.

Notre ville possède un réel joyau "d’Architecture Dorée", c’est à dire une architecture tout entière basée sur la géométrie, le nombre d’or et les figures (rectangles et triangles) d’or. Il se trouve peu de monuments capables de procurer cette double impression de majesté et d’élégance, de cohérence et de beauté.

Ceux qui ont travaillé sur l'Hôtel de Ville sont, d'évidence, les compagnons ou les héritiers des imagiers du Moyen Age qui ont orné les édifices religieux romans et gothiques de Picardie, d'Ile de France et d'ailleurs. Les commanditaires ont été le Mayeur et les échevins de l'époque, mais aucun document ne peut nous livrer les clefs de lecture de cette petite imagerie, pensée avec une certaine cohérence et qui nous parvient après 5 siècles d’existence sans avoir été profondément modifiée.

 

SUITE HOTEL DE VILLE PAGE 2